Pathétique persévération

Les mois ont passé à l’HDJ qui, à l’image de la psychanalyse, sombre continuellement dans une sombre et interminable agonie. L’équipe éducative et infirmière, au comble de l’épuisement et du désespoir, semble toujours isolée et menée par des personnes et des principes qu’elle ne comprend ni ne digère toujours pas. Même lorsque la valse des démissions successives s’arrête, les départs sont organisés et étalés tout au long de l’année par les instances supérieures. A commencer par cet éducateur pris par des difficultés personnelles que l’on essaiera purement et simplement de virer pour motif de psychose au sens psychanalytique et structural du terme. Il ne s’agit alors ni de délire ni d’une incapacité intellectuelle ou physique à travailler mais bien d’une façon de réagir au monde extérieur originale qui est condamnée publiquement. Bien entendu, nous sommes au cœur du secteur public de santé mentale et cette demande émanant du médecin chef de l’HDJ n’a pas été entendue… La crédibilité de ce médecin chef, en baisse permanente depuis des années, s’est encore amoindrie après la décision de faire partir une éducatrice en plein milieu d’année. La démarche était tout simplement d’éviter le départ conjoint de deux éducateurs à la fin de l’année en les séparant ces départs de 6 mois. Il n’y aura cependant pas de remplaçante en raison de distorsions administratives multiples. L’équipe est donc tout simplement amputée gratuitement jusqu’à la fin de l’année.

Entre décisions subtiles et stupides, cette incroyable femme médecin chef se refuse toujours publiquement à la remise en question et à la démission, qui semble au yeux de tous la meilleure solution depuis bien des années…

A la manière d’un docteur Quinn de la grande époque, elle se refuse à changer d’un iota sa ligne de conduite qui devient donc logiquement celle de l’HDJ tout entier pour son plus grand malheur. Les deux psychologues, dans une situation plutôt confortable, loin d’avoir les mains dans le cambouis, tentent de mimer de façon très théâtrale un statut de « cul entre deux chaises ». Cette vieille femme, souvent mal à l’aise face à moi, ne cesse de rappeler, face aux diverses critiques, les nombreuses réunions et supervisions qui ont été mises en place depuis le début de l’année. Elle ne parvient pourtant pas à comprendre que ces mesures, aussi utiles soient-elles, ne sont que palliatives. Pire, ces mesures pourraient même jouer en sa défaveur en favorisant une rumination permanente des nombreux problèmes institutionnels et des critiques non moins perpétuelles et justifiées envers le Dr Quinn.

Le second psychologue est probablement LE véritable psychotique de la structure. Psychologue sud-américain dans la plus pure tradition lacanienne, cet homme ne semble agir et parler que par bizarreries. Ses entrées surprises au sein des groupes d’enfants nous ont d’abord interloqués, puis inquiétés et enfin franchement irrités. Lors de ses survenues, cet homme ramène également son inadaptation la plus totale et peut autant squatter une chaise en regardant le mur pendant des heures que tenir la main d’un enfant en regardant ses pieds, tout cela sans dire le moindre mot. La perplexité ne peut qu’envahir n’importe quel être humain se trouvant dans la même pièce. Certains éducateurs étant des authentiques psychologues surdiplômés n’ayant trouvé aucun poste, nul doute que la stratégie de recrutement de l’HDJ doit leur paraître… Psychotique? Non…

Revenons sur ce fameux Dr Quinn. Cette femme, non seulement dénuée de la moindre capacité de gestionnaire responsable, possède des compétences cliniques quasi-nulles. Et même dans le monde obscur de la pédopsychiatrie, les problèmes s’empilent les uns sur les autres. Ses entretiens d’accueil ne parviennent plus à berner les parents qui refusent désormais pour la plupart de laisser leur enfant aux mains d’une telle théorie. Aussi incroyable que tout cela puisse paraître, ces parents préfèrent supporter un enfant autiste ou psychotique à plein temps, que de le laisser la journée dans un tel centre de jour. La raison principale est évidente. Comment peut réagir un parent quand un authentique médecin lui affirme avec une conviction toute convertie qu’il a rendu son enfant autiste à cause d’un rapport parent-enfant défectueux, alors que même la dernière des concierges de son immeuble est au courant de l’origine génétique certaine de l’autisme. Avouons que tout cela est d’un pathétique à pleurer…

Elle ne s’arrête pourtant pas là et sombre fréquemment dans le syndrome de sur-diagnostic de psychose (SSP). Ainsi un petit garçon tout simplement timide et inhibé s’est vu marqué psychotique au fer rouge sous prétexte d’une écholalie au cours de l’entretien (répétition d’un mot) et d’une pauvreté du discours. Ce qui n’est qu’une pure conviction sans le moindre esprit critique scientifique s’est vue renforcée par l’émergence d’une phobie de la saleté. Cet enfant semblait en effet particulièrement mal à l’aise lorsqu’il constatait des éléments de saleté sur le sol et me demandait frénétiquement de chasser la poussière et la terre de sa vue. Argument psychotique évident pour notre chère et tendre Dr Quinn qui n’envisagera pas une seconde une autre possibilité diagnostique malgré l’insistance de son interne (à savoir moi) et de l’éducateur référent…

Durant ces entretiens d’entrée passionnants, je me surprends à rêver, à m’imaginer me lever brutalement et hurler aux parents : « Fuyez! Fuyez! Et ne revenez jamais! Votre enfant ne mérite pas ça… ».

Mais ces parents n’ont pas besoin de ça pour refuser l’admission de leur bambin. Je me souviens encore de ce père, adorable et fier afro-français affichant son surpoids et son humour, mais qui, au bout d’une heure d’entretien, parvenait à affirmer avec calme, intelligence et subtilité qu’il ne laisserait pas son enfant ici avec des arguments d’une pertinence rare. J’aurais voulu l’embrasser, je ne me suis contenté que d’un gentil clin d’œil à son départ… Durant le débriefing, le Dr Quinn, visiblement persécutée par ce refus, en manque de confiance permanent, s’est laissée aller à son SSP, traitant cet homme subtil de paranoïaque agressif et dangereux. Projection?

Et les enfants de l’HDJ dans tout ça? Et bien ils vont globalement tous mieux, légèrement mieux. A mon avis, pour une bonne raison : ils grandissent, ils évoluent entre eux, subissent des séances de psychomotricité et d’orthophonie, jouent avec les éducateurs restant, mangent, sortent quand ils peuvent, rentrent dans leur famille etc.

Et cette foutue psychanalyse n’a rien à voir la dedans.

Pathétique persévération…

A suivre

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Le Symptôme Jekill

La première fois que j’ai rencontré Jekill, j’ai tout de suite été frappé de constater avec quelle insistance il tenait à m’ignorer. Peut être avait-il peur? Peut être pas…

Cet enfant d’à peine 8 ans donne à première vue dans une hyperactivité impressionnante. Son temps maximum d’immobilité physique ne dépasse jamais 5 secondes. Il court, secoue la tête, grimpe sur tout ce qu’il trouve, se retrouve la tête en bas, dévale les escaliers sur le dos et j’en passe… Dans sa tête, il se passe à priori la même chose. Ses pensées semblent accélérées et totalement désorganisées. Jekill ne peut se concentrer plus de 5 secondes sans passer à autre chose. Jekill parle, sans gros problème de langage, mais tout dialogue avec lui est de ce fait impossible. Il semble ne pas pouvoir répondre aux questions qu’on lui pose. Peut être oublie-t-il la question immédiatement pour basculer dans un autre espace sémantico-psychique… Sa réflexion semble entravée par ce désordre hyperactif neuronal.

Ce phénomène ne semble pas le rassurer et n’avoir aucun contrôle sur le cours de sa pensée semble l’angoisser et de ce fait aggraver encore plus ses troubles. Une de ses grosses préoccupations, c’est le temps qui passe. Le planning de la journée en cours donne lieu à une centaine de questions par jour du type. Et après ? On va dans la cour ? Et après ? On rentre ? Et après ? On va manger ? Et après ? On va dans la cour ? Et après ? On va aux toilettes ? Et après ? On va jouer ? Et après ? C’est l’heure des mamans ?

Jekill ne semble en permanence incertain de la stabilité des événements, des personnes et des objets. Chaque fois que je lui dis bonjour, il me redemande comment je m’appelle d’une façon quelque peu anarchique : « Moi je m’appelle Jekill, et Moi ? ». Je lui réponds alors : « Tu sais comment je m’appelle, je m’appelle… ? ». Et c’est la qu’il scande mon prénom à tue tête en sautillant partout.

Jekill ne semble pourtant pas être un enfant malheureux. Livré à lui-même, il parait même euphorique par moments. Il chante des comptines avec un sourire béat et je sais que dans ces moments là il respire le bonheur. Il pleure plutôt rarement voire jamais. Ses rares crises d’insatisfaction ne s’accompagnent jamais de la moindre larme.

Depuis son arrivée à l’HDJ il y a quelques années, Jekill est toujours aussi accéléré et désorganisé. Tout ceci semble nettement entraver son développement et empêcher toute socialisation dans des milieux « normaux ». Cette absence de progrès est manifeste malgré les bonnes vieilles méthodes en vigueur ici depuis plus d’un siècle. Les différents ateliers ne lui sont pas proposés. Pourquoi ? Les éducateurs semblent avoir du mal à le reconnaître mais c’est pourtant évident. Son instabilité et ses troubles de la concentration rendent plutôt difficile son intégration dans un groupe ou une activité. Jekill s’entretient régulièrement avec la psychologue. Là encore, je doute que cette démarche ne puisse le soulager, à court ou à long terme. Ne pouvant rester en place sur une chaise, Jekill tourne en rond dans le bureau sans pouvoir répondre au dixième des questions posées. Le matériel qu’il livre à la psychologue est cependant manifeste, mais sans la moindre cohérence et d’une pauvreté évidente (Qu’est ce qu’on fait après ? Comment tu t’appelles ? etc.). Et bien sur, selon les travers habituels du psychanalyste, impossible de ne pas se jeter sur ce matériel insignifiant pour lui attribuer une signification et une richesse des plus grotesques.

Comme je l’ai déjà mentionné à de nombreuses reprises, les traitements médicamenteux n’ont pas leur place à l’HDJ. C’est une hérésie. Ceci pourrait en effet empêcher tout accès à la souffrance de l’enfant et donc supprimer toute la jouissance et le entacher le narcissisme des thérapeutes. Pourtant, ralentir les pensées de Jekill serait surement salutaire. Ca ne réglerait bien sur pas la cause « génético-environnementale » de son trouble, mais ça pourrait lui permettre de vivre plus agréablement et de se développer plus sereinement. Mais non, les médicaments n’ont pas leur place, enfin si, mais dans le placard poussiéreux de l’infirmerie poussiéreuse. De même les méthodes psychothérapeutiques à visée éducative ou rééducatives sont traquées et neutralisées avant même leur mise en place. La priorité reste toujours l’interprétation que se fait le thérapeute de la souffrance de l’enfant et le plaisir qu’il en retire. Plus le plaisir est grand, plus l’enfant est sensé guérir… Bienvenue dans le monde magnifique de la perversité et de la non assistance à personne en danger.

Jekill a le malheur suprême d’être « sale ». En effet il chie dans son froc. On appelle ça « encoprésie » dans le milieu. Ce comportement semble énormément intéresser les thérapeutes et a fait l’objet d’une discussion de plus d’une heure à la dernière réunion. La question de départ était : « Que faire avec ça ? ». En général, Jekill ne tarde pas à se précipiter sur son éducatrice préférée et lui demande d’aller dans la salle de bain. Cette éducatrice et cette salle de bain sont les acteurs d’un moment de nettoyage pour lui fort agréable. Agréable au point de se dire qu’il n’y a aucune raison que ça s’arrête si Jekill en retire du plaisir. C’est un cercle vicieux à base de conditionnement. Mais hélas toute théorie impliquant le comportement est bannie ici. La délibération a mené à dire au bout d’une heure que cette conduite à tenir était la bonne, malgré mes avertissements et mes prévisions d’aggravation.

Bien entendu la maman de Jekill est totalement exténuée, au bout du rouleau. Et pourtant, elle parvient dans des efforts admirables à tenter d’éduquer son pauvre fils. Ainsi, à la maison, Jekill, en cas d’accident, doit nettoyer lui-même sa culotte. Cette règle instaurée, que j’ai trouvée plutôt adaptée, a entrainé une diminution de la fréquence de ces accidents (à la maison). Mais bien sur, en réunion, cette pauvre mère s’est vue taxé d’inhumanité, de sadisme et bien sur de psychose. C’était si prévisible.

En attendant, ceci est révélateur d’une chose importante. Jekill semble aller mieux chez lui qu’à l’HDJ. C’est incroyable mais vrai. Après ça, que dire à cette mère lorsqu’elle nous questionne sur l’utilité de l’HDJ ? Si cette question m’est un jour adressée, nul doute que je serai des plus honnêtes…

Cette mère garde un espoir inébranlable que son petit Jekill guérira un jour. C’est compréhensible mais toutefois très peu probable. Ce n’est pourtant pas ce qui lui a été dit.

Ce qui lui a été dit c’est que les problèmes de son fils sont uniquement dus à des problèmes d’interaction entre elle et Jekill (ses problèmes sont dus à d’autre problèmes en somme, voilà comment noyer le poisson). Comment à partir de là ne pas se dire qu’à partir du moment où l’on peut changer la « cause », on peut guérir son fils… ?

La vérité n’est malheureusement pas celle là et cette mère ne le sait toujours pas. La véritable cause des troubles de Jekill est à ce jour inaccessible par les thérapeutes car en partie inscrite dans ses gènes.

Jekill reste pour l’instant LE symptôme de l’HDJ…

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La Vérité Gronde

Les mois passent sans que la folie ne trépasse à l’HDJ pour enfants. Au contraire elle gagne doucement certains membres du personnel dépassés par cette folie galopante fermement installée en pôle position d’un grand prix auquel Schumacher lui-même ne pourrait participer. L’opposition bat plus que jamais son plein entre les instances divines et terrestres. Ce conflit de type guerre froide qui commence à chauffer semble pourtant si précalculable…

Le « petit » personnel est exposé à la folie infantile comme certains cancéreux ont été exposés à l’amiante : c’est-à-dire sans aucun moyen d’y faire face. Ce personnel n’a pourtant de « petit » que la réputation. Sur les quatre éducateurs, deux sont en réalité d’authentiques psychologues fermement diplômés. Les deux autres éducateurs peuvent quant à eux se vanter de plusieurs décennies d’expérience au contact des enfants les plus fous, tout comme l’infirmière à leurs cotés. Mais alors pourquoi tout cela part-il en testicule ?

Ils sont envoyés en première ligne comme de vulgaires fantassins français de la guerre 14-18 sans armes face à des adversaires plutôt coriaces… L’ordre de charger est donné par le personnel divin du premier étage qui lui-même semble totalement ignorer la totale déroute subie en ce moment par ses fantassins.

Mais la révolte gronde… Les fantassins ont maintenant réalisé que ces instances divines n’ont jamais eu le moindre pouvoir sur la folie de ces enfants et n’en auront jamais.

Pire, ils ont découvert que des armes efficaces existent et sont utilisées ailleurs. Ceci ils n’auraient jamais du l’apprendre car la moindre entrée et sortie reste contrôlée dans ce centre. Toute personne n’étant pas adhérente, soumise et admirative devant le mouvement psychanalytique est refoulée avant même de sonner à l’entrée. Toute personne ou presque… En effet ce monopole a été brisé, par moi, l’interne en psychiatrie, médecin psychiatre en formation. Les internes peuvent choisir le stage qu’ils veulent et ce, avec ou sans l’avis du stage en question. Je suis donc l’élément incontrôlable.

Ne m’étant pas prosterné devant l’icône de Freud à mon arrivée, j’ai rapidement été rangé dans la catégorie des ennemis de la psychanalyse. Je suis dangereux car je connais d’autres moyens de soigner que la psychanalyse. D’autres moyens qui marchent, peut être même mieux. Ces « moyens » n’ont pas le droit de citer ici. Les quelques fois où ils ont été mentionnés, le refoulement de l’hérésie a été massif.

Mettons nous maintenant à la place de fantassins qui finissent par se rendre compte d’une chose : les fusils existent bel et bien et sont même rangés à deux pas d’ici, dans un placard. Mais il n’est pas question de les utiliser ! Ce serait une hérésie…

Peu importe si les études scientifiques prouvent que certains médicaments ou certaines méthodes de psychothérapie sont efficaces sur les enfants malades. Peu importe puisque c’est un sacrilège. Alors maintenant au boulot…

Environ la moitié des enfants présentent une agitation intarissable. Pour eux, les clefs de bras et les soumissions sont devenues des techniques de combat indispensables à maitriser pour survivre à une traversée de cour de procréation. Après une journée passée et une trentaine de soumissions dignes des plus grands matchs de catch, ces délicieux galopins ne changent pas d’un poil leur comportement et ne présentent pas le moindre signe de fatigue contrairement aux éducateurs. Nous sommes ici dans un processus bien connu des comportementalistes : l’impuissance apprise. Lorsque l’on finit par se persuader que chacune de nos actions est sans effet sur l’environnement, on court tout droit vers la dépression. C’est ainsi que tour à tour, les éducateurs démissionnent avant que de la chair fraiche ne soit à nouveau mise à disposition des instances divines.

Ces instances divines savent distiller les bons conseils et intervenir de manière sobre et totalement illusoire. Cette merveilleuse psychologue possède sa phrase passe partout qu’elle distribue cependant à petite dose lorsqu’un éducateur vient la voir parce qu’un enfant pleure sans cesse depuis plusieurs heures : « c’est bien ! Ca veut dire qu’il s’exprime ! ». Sur mes conseils, il lui répondrait qu’il n’y a pas mieux comme endroit pour s’exprimer que le bureau d’une psychologue…

Aujourd’hui on peut être médecin psychiatre et penser que l’autisme est du exclusivement à une mauvaise relation entre la mère et son enfant. Ici c’est comme ça et pas autrement…

Pourtant, en poussant les investigations paracliniques, on peut découvrir des choses intéressantes. Récemment j’ai demandé les résultats du scanner cérébral que le petit Raël avait passé il y a un mois. Cet adorable petit autiste a été privé d’oxygène pendant 10 minutes juste après sa venue au monde. J’avais des raisons de penser que son cerveau avait quelque peut souffert du manque d’oxygène et que ses problèmes de communication en étaient peut être la résultante (d’ailleurs il ne marche pas très droit cet enfant…). Comme à l’accoutumée ma remarque a été ponctuée d’un « Non. Le contexte organique est négligeable pour Raël » avant que la discussion n’enchaine sur l’état mental « gravissime » de sa mère… Et bien quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai découvert sur le scanner d’immenses plages de nécrose corticale, c’est-à-dire de cerveau mort. Nous sommes ici bel et bien dans le cas d’un autisme secondaire à une anoxie néonatale. Malgré cela, ce compte rendu a été rangé et oublié dans la foulée. Il serait pourtant l’heure selon moi de déculpabiliser cette pauvre mère et de lui dire que ce qui est mort du cerveau de son fils est définitivement mort et ne renaitra jamais, malgré les excellentes prises en charge psychanalytiques.

Tant qu’on y est, on pourrait aussi déculpabiliser la mère d’Alphonse, qui a du s’occuper pendant plusieurs années seule d’un enfant épileptique, au rythme de 15 crises par jour. Ces crises d’épilepsie ont bien sur perturbé le développement psychique d’Alphonse et sa maman est logiquement rentrée dans un état dépressif avéré. Aujourd’hui, Alphonse bénéficie d’un traitement médicamenteux efficace pour son épilepsie mais garde un retard mental pour lequel il va entrer à l’HDJ très prochainement. Lors de l’entretien d’entrée, le diagnostic a été clair : Alphonse est psychotique et sa mère, également. Le petit a donc sa place à l’HDJ pour son plus grand malheur… Voilà de quoi écope sa pauvre mère qui pendant plusieurs années, s’est occupée de lui au mépris de son propre bien être, au point de se déprimer sévèrement. Malgré sa dépression, elle parvient à lui donner ses médicaments correctement. Malgré sa dépression, elle n’a jamais manifesté le moindre symptôme délirant. Malgré sa dépression ; elle a toujours agi de façon adaptée. Et maintenant elle est cataloguée comme psychotique…

Pour le petit Alphonse nouvellement psychotique, j’ai également demandé le compte rendu du scanner cérébral. En voici la conclusion : encéphalopathie épileptique avec microcéphalie. En gros, l’épilepsie lui a ravagé le cerveau qui par ailleurs est anormalement petit. Après l’avoir montré à ma supérieure, ce compte rendu est allé trouver sa place : rangé au fond du dossier et oublié…

La révolte gronde… Il se pourrait que le cercle vicieux soit rompu prochainement.

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La Neutralité Bienveillante

L’entretien d’entrée, magnifique entretien d’entrée. Par où commencer ?

En général les enfants sont adressés par d’autres pédopsychiatres psychanalystes qui, constatant leur inutilité dans un moment de lucidité, envoient des enfants très malades dans cette structure sensée les « garder » pendant la journée.

L’enfant est en général amené par ses parents qui tous sans exception se mettent immédiatement à cracher sur la prise en charge antérieure par les psychologues ou pédopsychiatres psychanalystes. La réplique statistiquement la plus fréquente est sans conteste le « Mais il ne se passe rien pendant les consultations ! ». Et oui en effet, pour en avoir vu quelques unes, il ne se passe des choses que dans la tête du psychanalyste mais ailleurs : rien. Les premiers entretiens ont pour utilité et intérêt le recueil de données sur le petit patient et sa famille mais plus le nombre de consultations augmente, plus leur pertinence diminue. L’enfant joue la plupart du temps avec les jouets présent dans le bureau, jouets, qui rappelons-le ne sont là que pour soulager le thérapeute de la pression exercée par les parents pour qu’il guérisse leur enfant. Le mot guérir est d’ailleurs une vulgarité car en psychanalyse, on ne guérit pas les troubles. Au mieux, le thérapeute les comprend selon sa vision faussement globale et enfermée dans un cercle sans fin… C’est d’ailleurs ce qu’il fait durant les consultations. Il essaie d’adapter ce qu’il voit et ce qu’il entend aux concepts psychanalytiques, quitte à parfois devoir légèrement donner dans la distorsion cognitive pour de meilleurs résultats. Car le challenge n’est pas la réussite de la prise en charge de l’enfant mais la glorification par ses pairs lors des réunions. En effet, c’est là qu’il laisse aller toutes ses visions et ses fantasmes interprétatifs, et en général, le taux d’approbation est proportionnel au niveau de grotesquerie.

Lors des consultations, la neutralité bienveillante est de rigueur car ordonnée il y a plus d’un siècle par le grand Freud. Il a en effet dit : « Tes émotions face au patient transparaître, ne devront ». Tout ça dans l’idée d’établir un transfert, fantasme du patient sur le thérapeute, considéré à l’époque comme LE processus thérapeutique.

Il est assez triste de constater que cette neutralité bienveillante est la plupart du temps un obstacle à l’amélioration du patient car il est une indiscutable entrave à l’empathie. Et l’on sait aujourd’hui que le patient a besoin d’être écouté, activement compris, rassuré et renforcé dans ses conduites adaptées.

Il me vient soudainement l’illustration parfaite, c’est lorsque j’ai pu assister à la consultation de la petite Eglantine. Cette petite fille de cinq ans présentait alors toutes sortes de petits problèmes que sa thérapeute a regroupé sous le terme : « refus de grandir ». Elle refusait de diversifier son alimentation, refusait de se coucher seule, refusait de parler aux étrangers sans faire passer sa mère pour une interprète etc. Au deuxième RDV, Eglantine et ses parents sont arrivés triomphants. Pourquoi ? Et bien tout simplement car Eglantine avait accompli l’exploit de manger seule sans l’aide de sa mère. Bel effort non ? Eglantine n’a toutefois pas pu le dire directement sans l’aide de sa mère. Ce phénomène, qui reste fréquent chez elle, je l’ai rattaché, en apprenti clinicien appliqué, à une timidité excessive, que les psychiatres nomment aujourd’hui volontiers « phobie sociale ». Je précise que les parents d’Eglantine nous avaient alors plusieurs fois signalé les problèmes sociaux entraînés par cette peur des autres à l’école ou même en famille. Or, quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai constaté d’une part, que la psychiatre en question ne semblait pas connaître ce terme mais aussi et surtout lorsque j’ai pu bénéficier de son interprétation personnelle du phénomène. Selon elle, l’attitude d’Eglantine à son égard traduit une véritable provocation agressive et inconsciente. Eglantine cherche à faire équipe avec sa mère pour entrer en conflit avec sa psychiatre. Intéressant non ? J’ai eu beau essayer de lui faire remarquer que sa vision était peut être un poil égocentrique et donc limitée, mais elle s’est aussi malheureusement révélée rigidifiée.

Revenons à nos moutons. La maman d’Eglantine s’est donc dévouée pour annoncer la bonne nouvelle : « Eglantine a mangé seule ! » a-t-elle dit. Et alors là… Rien… Que dalle… Le calme plat… Silence de mort pendant 10 secondes… La thérapeute est restée impassible, imperturbable, figée dans une totale indifférence… Je me revois alors trépignant sur ma chaise, mordant ma langue aussi fort qu’un épileptique ou aussi fort qu’un détenu recevant des coups de fouets sur la place publique… Je me disait : « Félicite-la ! Mais félicite-la putain ! ». N’ayant pas l’autorisation de m’exprimer en séance, j’ai toutefois réussi à capter le regard d’Eglantine pour lui faire un gigantesque sourire étonné et approbateur. Mais ce n’était pas suffisant… La psychiatre a immédiatement changé de sujet et le sujet était déjà clos. Ou presque, car c’était sous estimer les ressources d’Eglantine. En effet, 10 minutes plus tard, c’est cette fois Eglantine qui a pris son courage à deux mains pour refaire savoir calmement à sa thérapeute qu’elle avait mangé seule… J’ai porté alors immédiatement la main droite sur mon cœur en l’honneur de cet exploit et de mon émotion. Je me suis alors dis que tout psychiatre ne pouvait laisser passer un truc pareil. Mais je me suis trompé… Une nouvelle fois, cette démarche aboutissait au vide le plus total, au néant intersidéral. A deux doigts de me taper la tête contre le mur derrière moi, j’ai malencontreusement laissé échapper un malheureux « bravo! » en direction de cette pauvre enfant. Le stimulus a été cette fois incroyablement efficace puisque la thérapeute s’est immédiatement retournée vers moi avec un visage exprimant clairement sa volonté de ne pas me renforcer, voire même d’en devenir aversive…

J’ai eu beau essayer de justifier scientifiquement mon intervention après la séance, pour elle le mal était fait… Depuis, j’essaye de prêcher tant que je peux les bienfaits du renforcement positif dans tout processus thérapeutique, mais je me heurte à un mur construit un siècle plus tôt.

Pourtant cette thérapeute avait bien compris le rôle du renforcement dans le domaine de l’alimentation puisqu’elle avait judicieusement insinué à la mère que de donner deux énormes biberons de lait au coucher n’encourageaient pas Eglantine à manger son dîner deux heures plus tôt… Elle l’a toutefois insinué en gardant sa neutralité (mal)veillante.

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Le Conflit Extrapsychique

Pourquoi donc ? A priori l’hôpital de jour existe dans une optique de soins où sont accueillis enfants autistes ou présentant d’autres troubles psychiatriques graves. Cette structure on ne peut plus claustrophobique est enfermée dans un bloc d’immeuble au centre duquel repose la cour de procréation, lieu de vie principal de ces enfants. Elle est entourée de murs percés de fenêtres abritant les bureaux des instances divines et tiers payants, s’élevant ainsi jusqu’aux cieux freudiens.

Ce monde merveilleux ne respire pourtant pas l’harmonie puisque deux camps plus ou moins distincts sont dans un réel conflit, tout à fait conscient. Il y a d’un coté, le peuple de la procréation, en contact permanent avec les enfants, et de l’autre, un peu plus haut, le personnel que j’appellerai « à couvert ». Donc en bas, nous retrouvons les éducateurs, infirmière, ASH, et faisant fonction d’éducateurs et en haut, secrétaire, orthophoniste, psychomotricienne, assistante sociale mais surtout les divins psychologues et la psychiatre responsable de l’hôpital de jour. Comme dans beaucoup de conflits de par les siècles, celui-ci met en scène deux mondes qui ne se comprennent pas. Le camp du bas doit faire face à des enfants spectaculairement malades, incontrôlables, violents et infatigables empêchant ne serait ce que le moindre début d’organisation. L’épuisement entraîné amène logiquement à des départs et démissions se succédant de façon impressionnante et interminable. Plus haut, le médecin psychiatre responsable doit gérer l’intense pression administrative qui clame que l’HDJ ne rempli que la moitié de ses capacités d’accueil et se retrouve donc pris en sandwich à trois couches qui sont : l’administration, l’épuisement inférieur procréatif et les pressions freudiennes anti-comportementalo-médicamenteuses. La réaction la plus logique et la plus économique face à ce stress permanent, c’est la projection. Ainsi le personnel du bas est considéré comme un ramassis de glandassons, épuisé certes mais ce n’est pas un critère comme ils disent… Parallèlement, le personnel « upstairs » est considéré comme en total décalage avec la réalité de la procréation car ne supportant ces mioches qu’au rythme d’un quart d’heure toutes les deux semaines pour des consultations moyennement prolifiques et encore moins salvatrices…

J’occupe pour ma part une place intermédiaire, passant la majeure partie de mon temps en bas, mais ayant tout de même l’extrême honneur de pouvoir assister à des entretiens à volonté « formatrice ». Attention, je ne suis pas un réel demi-Dieu. En effet, n’ayant même pas entamé mon parcours initiatique psychanalytique, je ne reste pour l’instant qu’un humain comme les autres. Cependant, j’ai la possibilité d’accéder à la divinité dans un futur plus ou moins proche ce qui n’est pas le cas de la majorité du tiers payant. Ce parcours initiatique que l’on appelle psychanalyse didactique est un long cheminement qui ne s’arrête qu’après plusieurs années lorsque le maître a suffisamment conditionné l’apprenti selon sa vision de la psyché inspirée au départ de Freud mais volontiers adaptée…

Mais au lieu de me prosterner et d’attendre patiemment mon modelage cérébral, j’ai choisi tel un Ulysse moderne de défier ces instances divines qui m’ont du coup condamné à errer pendant six long mois dans l’Olympe psychanalytique. Nul besoin de figer mes compagnons puisque je n’en ai pas ici…

Je ne perds pourtant pas de vue mes fantasmes naïfs de triomphe de la science sur cette originale religion sectaire qu’est la psychanalyse. Naïf car je combats en même temps plus d’un siècle de naïveté humaine mais je ne perds pas mon abnégation pour autant. Mon dernier moment de gloire remonte au début de la semaine lors d’une séance de lecture psychanalytique. Le texte partait pourtant idéalement : une gentille dame ayant tente un auto mea culpa en critiquant la culpabilisation parentale extrémiste de ses prédécesseurs psychanalystes. Que demander de plus ? Pour elle la relation entre la mère et son enfant psychotique est plus complexe. Après filtrage vocabulairien des termes multi-usage et quelques questions bien placées, j’ai compris que le dysfonctionnement de la mère était due à la relation duelle si particulière qu’elle entretien avec son enfant. En gros ce n’est pas seulement de sa faute, mais aussi de la faute de l’enfant psychotique lui même. Ceci paraît sensé et logique au point de se demander à quoi bon entamer un parcours initiatique de plusieurs années pour en arriver à de pareilles banalités. Mais la suite est plus intense encore… Cette gentille dame signale dans son texte avoir réalisé une expérience (scientifique bien entendu mais cette grossièreté n’est pas mentionnée dans l’article). Elle constate que lorsque l’enfant psychotique est confié à une assistante maternelle en lieu et place de la mère, le dysfonctionnement relationnel finit par réapparaître irrémédiablement ! En gros, tu refiles le gamin à une mère de remplacement, et celle ci se met rapidement à redéconner sec ! La madame se sert donc de cette donnée pour appuyer sa thèse des « torts partagés » entre mère et enfant psychotique. C’est alors que mon ampoule scientifique s’est allumée telle une tour Effel en fusion… J’ai pourtant gardé mon calme et décidé d’adopter le mode interrogatif car délicat et adapté à la susceptibilité extrême du psychanalyste : « Euh, mais dites-moi, est-ce que cette expérience ne tendrait pas à suggérer que les comportements pathologiques de la mère sont uniquement entraînées par l’enfant psychotique lui même ? » (en sachant bien sur que les mères d’enfants psychotiques n’ont en général aucun problème avec leurs autres enfants non psychotiques). Les quelques secondes qui ont suivi ont été dignes de la dernière ère glaciaire… La psychiatre suprême de l’HDJ a tout de même entamé un temps de latence (ou barrage si vous préférez) avant de m’asséner une grand et magnifique « NON ! ». Son visage était alors des plus expressifs, exit la neutralité bienveillante, j’ai eu accès à cet instant précis à plusieurs émotions trahissant sa retenue forcée depuis un long mois. Il y a eu d’abord une visible montée anxieuse, son visage a légèrement rougi et son regard n’a pas pu tenir le mien si bien qu’elle l’a détourné en faisant mine de réfléchir. Cette phase n’a pas duré. Elle a refoulé immédiatement les reliquats de doutes n’ayant pas été annihilés lors de son parcours initiatique pour se réfugier vers une expression de profond mépris, voire de pitié pour l’homme faible que je suis. Après deux ou trois secondes d’autopersuasion interne façon méthode coué sur mon ignorance des concepts psychanalytiques, elle est sortie de sa déréalisation pour constater que je n’étais pas le seul autour de la table. Elle a scruté successivement, l’infirmière, l’éducateur et les deux psychologues faisant fonction d’éducateur dans un monologue intérieur du type : « Faire perdre du crédit à la psychanalyse c’est me faire perdre du crédit à moi ». Ce schéma cognitif traduit bien le caractère sectaire de la psychanalyse dans le sens ou l’on ne peut pas être psychanalyste à moitié. On doit l’être totalement et ne pas se détourner une seconde vers d’autres approches, scientifiques ou non. Ces quatre autres personnes sont restées étonnamment neutres sans la soutenir alors que les deux psychologues sont déjà clairement embarqués dans le rite. Cet absence de soutien n’a certainement pas apaisé le ressenti négatif qu’elle avait envers moi à ce moment précis. La réponse divine était donc attendue par tous et elle n’a pas tardé. Totalement prévisible bien sur, ce charabia sans queue ni tête, à base de narcissisme et d’angoisse de castration a tout de même été traduit par mes soins. En gros ça donne : « Non, c’est relationnel, tu n’as pas l’expérience qu’il faut pour t’opposer à de telles théories, c’est plus compliqué que ça, tu ne peux pas comprendre… ». Au total, un discours obscurantiste totalement caractéristique de la mouvance psychanalytique dont le coté pathétique n’atténue en aucun cas ma victoire du jour car pour la première fois, j’ai vu le doute sur le visage de mes voisins… On retrouve dans cette tirade toutes les armes classiques du psychanalyste : la culpabilisation à outrance, en clamant à tort mon manque de culture alors que je connais la plupart des concepts psychanalytiques et les textes de Freud, la dérivation vers des contrées de sauvetage permettant de fuir habilement le concret, et surtout l’absence totale de validité scientifique de la réponse, l’expérience étant une notion totalement aléatoire… Ma conclusion est que selon eux, pour comprendre les concepts psychanalytiques, il faut y adhérer tout simplement. Mais pour moi ça devrait plutôt marcher dans l’autre sens…

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Le corps étranger scientifique

Je me demande soudain où je suis. Ce genre de déréalisation m’arrive de plus en plus depuis que je fréquente ce monde parallèle, en marge et en total mépris du concret. Je voudrais réussir à me resituer sans relever ma tête une nouvelle fois braquée en direction de mes genoux. Ce que je sais c’est que je suis assis dans une « marre » de sueur depuis au moins une heure et à coté d’autres mares non moins humides (notons tout de même la différence marre/mare très symbolique comme ils pourraient dire).

Putain c’est la réunion ! A force de m’endormir les yeux ouverts en rêvant de façon mégalomaniaque j’ai fini par vraiment m’endormir. Pourtant la pratique je l’ai bien et depuis longtemps. D’ailleurs ce n’est pas LA réunion mais une réunion, même si ça reste la plus importante et spectaculaire. Spectaculaire dans le sens extravaguant bien sûr. La quinzaine de personnes assises autour de la table représente le personnel de l’hôpital de jour. Deux bons tiers sont des psychanalystes freudiens ou lacaniens convaincus sachant prêcher parallèlement la vérité comme ne le ferait pas le meilleur des témoins de Jéhovah. Ils sont principalement psychologues et médecins psychiatres mais cette différence en terme de formation n’a paradoxalement plus lieu d’être étant donné l’importance locale du culte de la combustion spontanée d’ordonnancier.

Le tiers restant n’est pas officiellement du mouvement freudien mais contribue nettement à son renforcement par l’admiration sans bornes vouée aux pratiquant du culte. Bien entendu ce tiers de personnel est enfermé et conditionné depuis bien longtemps par ces pratiquants dont l’autorité empêche toute déviation d’intérêt vers une autre approche que celle du Dieu Freud. Ce fameux tiers que j’appellerai désormais « tiers payant » est constitué de personnel « inférieur » de type paramédical (orthophoniste, psychomotricienne, infirmière) éducatif et de secrétairerie. Bien entendu inutile de rappeler que ce type de personnel n’arrive toujours pas en ce nouveau millénaire à réaliser que la filière médicale regroupe une énorme proportion d’abrutis finis et de névrosés en tout genre. Quant à l’autre filière : la psycho, c’est tout simplement le plus grand réservoir de schizophrènes de la planète (prouvé par mes amies les statistiques). Inutile de dire par ailleurs que Freud n’a jamais aimé les statistiques, de même que toutes les autres sciences qui ont essayé en vain de se mettre en travers de son chemin. Revenons à notre tiers payant. Il est conditionné comme je le disais de manière à prêcher des idées freudiennes pas trop dures à comprendre et à mettre en pratique. De cette manière, les instances divines s’assurent de la pérennité de leur mouvement sans avoir à accepter officiellement ces êtres « inférieurs » dans leurs cieux.

Un premier exemple serait : l’incontestable inconscient. Pourquoi incontestable ? Et bien j’avoue, je ne sais pas. Ce qu’il faut savoir c’est que l’inconscient est avant tout un merveilleux filet de sécurité pour psychanalyste acrobate. Dès qu’il sent son équilibre instable, le freudien n’hésitera pas une seconde à s’y réfugier en prétextant que tout ce qu’il ne peut prouver s’y trouve. Efficace non ?

Un deuxième exemple : la culpabilisation parentale. Deuxième refuge du psychanalyste, cette technique n’a rien de subtile. Après avoir clamé pendant des années la responsabilité du parent dans la survenue de la schizophrénie de leur enfant, ils n’ont toujours pas lâché le morceau. La science a pourtant prouvé le contraire mais n’a fait qu’à peine ébranler leur foi démesurée. Nous reviendrons plus tard sur cette technique lors de l’entretien d’admission des enfants à l’hôpital de jour (enfin j’espère).

Un troisième pour la route : la symbolisation à outrance. Cette technique nécessite la mobilisation d’un nombre élevé de neurones. Attention ! Les capacités attentionnelles doivent être à leur paroxysme. Il s’agit d’abord de repérer tout objet, toute parole, tout comportement, qui pourrait être reconstruit métaphoriquement. Pour faciliter la tache, ne pas oublier de penser systématiquement au sexe. Ainsi tout objet grossièrement phallique fera l’affaire. Pour les paroles, jetez vous en priorité sur les chiffres qui peuvent aisément être rattachés à des choses plus ou moins concrètes (nombre de personnes dans la famille, nombre de testicules, nombre de masturbations par jour, etc.). Un des réflexes les plus importants qu’il faut travailler et retravailler, c’est le réflexe au lapsus. Le lapsus est la mine d’or du psychanalyste mais attention car les collègues mais néanmoins rivaux n’hésiteront pas à se jeter dessus comme une troupe de hyènes affamées. Reste encore le dernier point, une fois le plan interprétatif établi, il faut le dévoiler rapidement mais toujours avec un certain degré énigmatique, sans tout dévoiler de manière à laisser le psychanalyste finir le travail. Nul doute qu’il saura vous gratifier à sa manière d’un sourire complice signe d’une nette avancée dans votre parcours initiatique. Nous approfondirons le coté délirant interprétatif plus tard…

Je me suis oublié dans tout ça (enfin presque). Je ne suis d’ailleurs dans aucun tiers, payant ou pas. Je suis un corps étranger scientifique dans un monde mystique tout simplement. Interne en psychiatrie, j’ai bientôt presque 10 ans d’études derrière moi. Pour ce stage, on m’a ordonnée de les mettre en stand-by. Je leur ai pourtant signalé que dans mes antécédents, j’avais soigné seul des schizophrènes dangereux, des états catatoniques à la limite de la mort cérébrale, que j’avais aussi plus d’une cinquantaine d’électrochocs à mon actif (ce qui n’a pas eu l’air de leur plaire d’ailleurs). Mais rien à faire, les enfants, ils les gardent pour eux. Et tant pis si la liste d’attente est de 6 mois. Et pourtant je n’ai pas fait l’erreur de leur dire que j’avais trouvé une méthode plus efficace que la psychanalyse pour soigner la névrose. Ils n’ont toutefois pas tardé à le deviner, ce qui a renforcé leur détermination à ne pas me laisser soigner leurs enfants avec ces méthodes honteuses de dressage (comme dirait Gerard Miller). Le fait que ça marche n’est pas un critère. C’est ce qu’on m’a répondu. Et quand j’ai demandé quel serait le bon critère, on m’a répondu que ce n’était pas une question de critère.

Il était dit que pour 6 mois je serais uniquement observateur. Au départ, c’était juste le temps de me convertir, mais devant mes « résistances » comme ils disent, ils ont lâché le corps étranger scientifique comme un électron libre.

J’assiste donc avec un intérêt fluctuant pour ainsi dire, à la déroute totale de cette structure. Mais au fait pourquoi la déroute ?

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Bobby et la procréation

Assis dans la cour de procréation, le regard plombé entre mes deux pieds, après avoir essayé en vain d’élucider le mystère de la disposition des graviers bétonnés dans le sol mosaïqué, je relève enfin la tête et redécouvre le petit Bobby. Toujours égal à lui-même depuis maintenant plus d’une heure, courant d’un bout à l’autre de cette scène de béton de dix mètres sur dix, marquant deux ou trois paniers à l’occasion et m’interpellant toutes les quinze secondes. Après lui avoir répété plus de cinquante fois mon ras le bol du basket, je décide enfin de m’y remettre pour son plus grand plaisir. Si une chose est sure, c’est qu’il est doué pour le basket, ou plutôt devrais je dire : entrainé. Depuis son admission, son taux de réussite au lancer franc a clairement franchi les 50 % et c’est bien légitime à raison d’une trentaine de tentatives par jour en moyenne, depuis maintenant trois ans…

Bobby a été admis au CMP ou plutôt à l’HDJ, pour une pathologie que l’on nomme paradoxalement « psychose ». Le paradoxe réside dans le fait que l’enfant psychotique ne sort pas de notre réalité comme le fait son adulte compère. Exit donc le délire, les hallucinations, la paranoïa ou autres bizarreries en tout genre. Alors pourquoi « psychotique » ? La réponse se trouve encore et toujours au beau milieu du jargon intellectuel, culpabilisateur et pseudo-scientifique du psychanalyste. En zigzaguant entre des termes multi-usage tels que fixation, oralité, angoisse de castration, problématique œdipienne, faille narcissique ou mon préféré « autoérotisme », on finit enfin par comprendre que cet enfant n’est pas tout à fait dans la même réalité que la notre.

J’admets tout à fait que ce cher et tendre Bobby trouve notre réalité insupportable, mais il ne me semble pas pour autant qu’il ait réussi ne serait ce qu’une fois à s’en extraire…

Bobby est un petit garçon qui semble avoir passé ses six premières années dans une nervosité omniprésente. Coincé avec sa famille dans un maigre studio, il ne trouve donc que rarement l’occasion de laisser aller tout son dynamisme. Cet adorable petit negro comme il aime à se nommer, ou afro-français pour les âmes sensibles, est resté petit par la taille pour devenir plus imposant par son périmètre crânien qui n’a visiblement pas suivi la même courbe de croissance. Le problème principal de cet enfant reste encore à ce jour l’agitation et l’agressivité. En effet, il ne tient pas en place plus d’une dizaine de secondes mais à cela viennent s’ajouter des conduites très agressives sur le plan verbal (« ta gueule, ferme ta bouche, putain, salaud, con… ») ou physique. Bobby ne peut malheureusement pas tenir longtemps sans violenter ses petits camarades ou insulter les courageux éducateurs qui l’entourent. Ses conduites sont d’autant plus intenses et spectaculaires lorsqu’il n’est pas le centre d’attention et sont donc pour lui le meilleur moyen de le devenir. En cas de comportement violent envers un de ses camarades, Bobby est en général puni par un éducateur excédé qui lui impose d’aller se calmer au coin pendant un temps. C’est à ce moment précis qu’Bobby semble enfin en mesure d’exprimer des émotions traduisant sa souffrance intérieure. Son visage se met alors à respirer le regret et la tristesse mais le problème c’est qu’à ce moment là, tout le monde s’en fout. Bobby semble condamné à recommencer ce cycle à l’infini.

J’ai décidé il y a peu de rompre avec ce cercle vicieux ainsi qu’avec celui de mon anecdotisme et de mon inutilité chronique. Je vais régulièrement vers le petit Bobby lorsqu’il est au coin pour essayer de discuter avec lui. Les bénéfices sont devenus évidents, non pas dus à la sacro-sainte parole mais uniquement à ma présence auprès de lui. Il semble comme plus apaisé, plus serein et surtout moins seul. Il sait désormais que quelqu’un le soutient quoiqu’il fasse. Et contrairement aux prophéties « mis-en-gardistes » du personnel spirituel spécialiste de l’inconscient, les conduites agressives de Bobby ne sont pas devenues plus fréquentes.

Bobby n’est jamais plus accessible qu’en tête à tête sans tierce, quadruple ou multiple personne lui tournant autour. Notre complicité naissante ne peut malheureusement s’épanouir que dans des concours interminables de lancers-francs.

Et nous sommes là tous les deux, dans la mince cour de procréation, observés de façon intermittente par les instances divines que sont les médecins chefs et autres psychologues. Nul doute que ces gens là sauront me dire quoi faire et surtout quoi dire à des enfants qui démontrent chaque jour un peu l’impotence de ces instances divines…

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